George Orson Welles (né le à Kenosha, Wisconsin, et mort le à Hollywood) est un artiste américain, à la fois acteur, réalisateur, producteur et scénariste, mais également metteur en scène de théâtre, dessinateur, écrivain et illusionniste.
Il a été parfois crédité sous les noms de O. W. Jeeves ou G. O. Spelvin.
D’abord révélé à lui-même par le théâtre de Shakespeare, puis rendu célèbre par une émission de radio (La Guerre des mondes), Orson Welles devient une figure incontournable du cinéma avec son premier long-métrage, Citizen Kane (1941), que l’ensemble des critiques considère comme le film le plus important du XXème siècle.
Par la suite, son style cinématographique, mais aussi son jeu d’acteur, exercent une grande influence sur le cinéma des années 1950-1970, en particulier sur Stanley Kubrick. Artiste précoce et polymorphe, farouchement épris de son indépendance, amateur de cigares, de tauromachie et d’illusionnisme, Welles ne cesse tout au long de sa carrière de revenir au théâtre et à la littérature, aux grands textes classiques (Othello, Don Quichotte) comme aux contemporains (Le Procès). Se défiant du système de production et entretenant sa propre légende d’effets à la fois spectaculaires et énigmatiques, il laisse de nombreux films inachevés.
Son père, Richard Heard Welles, est un industriel dilettante et un grand voyageur; sa mère, Béatrice Welles née Ives, est pianiste. Le fils les décrit ainsi :
« Mon père était un bon vivant de l’époque édouardienne qui aimait se dire inventeur. Il était généreux et tolérant, adoré de tous ses amis. Je lui dois une enfance privilégiée et l’amour des voyages. Ma mère était une femme d’une beauté mémorable, elle s’occupait de politique, était une championne de tir au fusil, ainsi qu’une pianiste de concert très douée. Je tiens d’elle l’amour de la musique et de l’éloquence sans lesquels aucun être humain n’est complet ».
Le jeune Orson grandit dans une ambiance raffinée et cultivée avec une touche d’excentricité. Les témoignages sur sa précocité abondent : il sait lire à deux ans, apprend à jouer du piano à trois ans et met en scène du Shakespeare à sept ans : en effet, la légende, difficile à démêler de la réalité, veut qu’il ait été un enfant prodige et qu’il ait joué Le Roi Lear tout seul à l’âge de sept ans et accompli d’autres exploits avant cela. Ces « exploits » sont désormais connus : il fait à trois ans une apparition dans Samson et Dalila à l’Opéra de Chicago, puis plus tard dans Madame Butterfly.
En 1919, ses parents se séparent et Orson suit sa mère à Chicago. À dix ans, il interprète Peter Rabbit dans les locaux du centre commercial Marshall Field’s à Chicago. Par la suite, le journal local lui consacre un article titré : « Dessinateur, acteur, poète ; il n’a que dix ans ». Ses aptitudes et sa passion pour le monde du spectacle ne s’arrêtent pas là : il se veut également décorateur, metteur-en-scène et surtout comédien et ce qu’il préfère avant tout c’est le transformisme et les postiches.
À dix ans, il entre comme interne dans une école située à Madison (Wisconsin), où il monte une adaptation théâtrale de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. Il rencontre le magicien Harry Houdini qui l’initie à l’Illusionnisme. Le , il intègre la Todd School for Boys, un établissement ouvert aux pratiques artistiques situé à Woodstock (Illinois) et dirigé par Roger Hill (à qui Welles rendra hommage par la suite, au mentor et à l’ami pour la vie). En effet, durant ses quatre années passées à la Todd School, il approfondit son goût pour la tragédie et la poésie classique, mais aussi pour l’illusionnisme. Il obtient son diplôme en 1931. Très attaché à cette école, il y retourne durant l’été 1934 pour y monter un festival de théâtre qui donne lieu à son premier ouvrage (premier d’une série de 3 livres écrits en collaboration avec Roger Hill, et publiés en 1934) : Everybody’s Shakespeare.
Deux événements personnels viennent ternir l’enfance et l’adolescence d’Orson : il perd sa mère, âgée seulement de quarante ans, le , perte suivie six ans plus tard par la mort de son père. Orphelin à quinze ans, il est pris en charge par le pédiatre Maurice Bernstein (qu’Everett Sloane incarne plus tard dans un rôle transposé pour Citizen Kane), un ami de longue date de ses parents qui va continuer à parfaire son éducation : il a discerné en Orson, dès son plus jeune âge, un goût hors du commun pour le théâtre et l’illusion, lui offrant même une lanterne magique et un théâtre de marionnettes.
En 1930, encore étudiant à la Todd School, Orson gagne le prix de la meilleure mise en scène estudiantine avec son Jules César, prix décerné par l’Association dramatique de Chicago. Bernstein lui propose de l’inscrire à Harvard puis le présente à Boris Anisfeld du Chicago Art Institute qui se montre impressionné par ses dessins, et Welles demande un congé sabbatique pour faire un « tour d’Europe ».
Il choisit de partir durant l’été 1930 pour l’Irlande, afin d’étancher sa soif de peinture de fait, Welles a dessiné toute sa vie. Il parcourt le pays avec une roulotte tractée par une mule, fait un crochet par les Îles d’Aran, se rend à Dublin et de là, à Paris. Âgé de seize ans et sans un sou, il revient à Dublin et se présente comme « vedette de théâtre new-yorkaise » à Hilton Edwards et Micheál Mac Liammóir, directeurs du Gate Theatre : Orson se montre très convaincant, car il s’est habilement grimé, et sa voix chaude et grave le fait passer pour plus âgé qu’il n’est. Grâce à cette mystification, il est enrôlé et demeure à Dublin, où il approfondit son expérience de la scène :
« Je commençais en jouant les premiers rôles en vedette. Les petits rôles vinrent plus tard. » Le Gate, où débute également James Mason, révèle Welles à son « démon du théâtre ». Il interprète le rôle du duc Karl Alexandre dans une adaptation du Juif Süss, mais surtout les rôles titres dans Hamlet, Richard III, King John, Timon d’Athènes, soit une vingtaine de pièces, rencontrant pour la première fois un vrai public. Par intermittence, il est également régisseur son et lumières pour l’Abbey Theatre, le concurrent plus conservateur du Gate.
Ambitieux, Welles décide de partir à la conquête des théâtres londoniens, mais son permis de travail lui est refusé et il retourne à Dublin. Entre deux saisons théâtrales, il effectue un séjour à Séville et se fait passer pour un auteur de romans policiers. Il a déclaré à ce propos : « J’habitais dans le quartier de Triana. J’écrivais des romans policiers, ce qui me prenait deux jours par semaine et me rapportait trois cents dollars. Avec cet argent, j’étais un grand seigneur à Séville ». C’est également durant cette période qu’il se prend de passion pour la corrida. Après avoir découvert l’Andalousie à dix-sept ans, il pratique la tauromachie en tant qu’Aficionado practico, puis la corrida en tant que novillero. Ce sera une de ses passions sa vie durant (voir plus loin).
En 1932, il réalise un premier exercice cinématographique, un essai de dix minutes, mettant en images le Docteur Jekyll et Mister Hyde, mais d’après McBride, « il ne s’agit que d’un travail amateur et chaotique, dans lequel Welles et quelques amis dublinois, s’amusent ». En 1934, il décide de retourner aux États-Unis.
En 1934, après cette immersion dans le théâtre, il retourne aux États-Unis, non sans amertume et quelque peu désœuvré. Le jeune homme possède alors une solide culture littéraire, ainsi qu’une bonne maîtrise des techniques de mise en scène. Pourtant les années 1933-1934 apportent nombre de changements, d’abord par la scène puis par son mariage.
Alors qu’il peine à trouver des rôles à sa mesure, que ses propres pièces comme The Marching Song sont refusées et que les États-Unis s’enfoncent dans la crise, Welles produit, toujours grâce à Roger Hill, une série d’ouvrages éducatifs illustrés intitulée Shakespeare pour tous, qui lui permet de visiter l’Afrique du Nord et de là, de ramener des centaines de dessins. Entretemps, il rencontre Thornton Wilder qui lui ouvre les portes de spectacles produits off-Broadway : c’est ainsi qu’il commence à jouer dans la troupe de Katharine Cornell, et c’est durant son interprétation dans Roméo et Juliette qu’il est remarqué par John Houseman.
La chance lui sourit également quand Roger Hill, directeur de la Todd School, le contacte pour lui demander d’organiser un festival théâtral (Summer Festival of Drama) durant l’été. Il réussit à inviter Mac Liammóir et Edwards, les directeurs du Gate. Au cours des répétitions, il rencontre une jeune actrice en devenir, Virginia Nicholson (1916-1996), qu’il épouse quatre mois plus tard en mars 1938, le couple a une fille prénommée Chris, mais divorce en 1939. Virginia se remarie avec le scénariste Charles Lederer l’année suivante.
Dans l’intervalle, Welles tourne son premier film, The Hearts of Age (1934), un court-métrage muet d’une durée de huit minutes et par lequel, selon ses termes, il « raille l’univers poétique et fantasmagorique de Jean Cocteau ». Welles y interprète le rôle d’un homme en chapeau et grimé, tentant de descendre d’un bateau puis jouant du piano, tandis qu’une femme âgée le menace. Le montage « vigoureux et débridé », les angles et la lumière, révèlent un style très marqué par le cinéma expressionniste et l’esprit surréaliste. Virginia y campe la vieille dame et l’agent de police, son camarade de théâtre William Vance interprète un indien, le tout ponctué de plans de cloches d’église et de croix. Une séquence montre la main de Welles en train de dessiner. Restauré et conservé à la Bibliothèque du Congrès, ce premier opus ne détourne pas vraiment Welles de sa passion pour le théâtre.
Au vu de ses performances avec Cornell, le producteur et directeur de théâtre John Houseman lui offre de travailler avec lui, dans le cadre du Federal Theatre Project, un programme culturel issu du New Deal et opérationnel en septembre 1935. En avril 1936, il fait sensation en montant sur les planches d’un théâtre d’Harlem une adaptation très originale du Macbeth de Shakespeare, transposant sur scène la vieille Écosse, brumeuse et froide, en une ambiance caraïbe inspirée de l’histoire moderne d’Haïti, le tout interprété par des acteurs noirs. L’histoire se déroule à l’époque du roi Henri Ier, et les sorcières deviennent des prêtresses vaudou. Il monte également le Faust de Marlowe dans une ambiance tamisée et mortifère. Après une adaptation d’Un chapeau de paille d’Italie (Horse Eats Hat) d’Eugène Labiche qui voit apparaître Joseph Cotten pour la première fois, Houseman et Welles connaissent en juin 1937 un véritable succès, doublé d’un autre scandale, avec une sorte de satire de la vie politique américaine en forme d’opéra composé par Marc Blitzstein et intitulée The Craddle will rock. De nombreux opposants politiques, ainsi que des ennemis du Federal Theatre, font pression à Washington et obtiennent que la police donne l’ordre de fermer les portes du théâtre. Houseman et Welles décident alors de jouer l’opéra dans la rue, où 600 personnes se sont rassemblées.
Les deux hommes démissionnent et fondent à la fin de l’année 1937 le Mercury Theatre, essentiellement pour servir le répertoire shakespearien. Leur première production est Jules César dans une mise en scène inspirée du fascisme mussolinien.
Deuxième court-métrage de Welles, Too Much Johnson est produit par Mercury Productions et s’inscrit donc dans le cadre des représentations théâtrales engagées avec Houseman. L’origine du film n’est pas une œuvre de Shakespeare, mais une farce écrite par William Gillette. Tourné au cours du l’été 1938 dans les environs de New York et d’une durée de 40 minutes, ce film muet devait faire partie intégrante du spectacle, servant et de prologue et d’entractes. Pour des raisons multiples, il n’est pas projeté lors de l’avant-première prévue au festival du Stony Creek Summer Theater. On voit dans le rôle-titre Joseph Cotten déambuler sur les toits de New York, mais aussi Virginia Nicholson, Welles et Marc Blitzstein.
Durant la soirée du lundi 30 octobre 1938, veille d’Halloween, CBS diffuse une adaptation de La Guerre des mondes de Herbert George Wells. Cette émission, du fait de sa mise en ondes très réaliste (Welles se fait passer pour un présentateur de CBS interrompant le programme), a selon une thèse très répandue, mais aujourd’hui remise en question, effrayé une bonne partie de la Côte Est des États-Unis qui aurait cru à l’invasion du pays par des Martiens. Les circonstances de cette émission s’avèrent pourtant moins « glorieuses » que ses conséquences. Les standards de CBS, mais aussi des commissariats ont été submergés d’appels de personnes prétendant avoir aperçu des Martiens. La panique est relayée durant une semaine dans la presse. Rétrospectivement, l’ampleur de la panique aurait été, selon certains auteurs, considérablement exagérée au fil des années, entre autres par Welles lui-même. Cette émission permet cependant à Welles de devenir célèbre dans tout le pays du jour au lendemain, ce qui lui ouvre les portes de Hollywood, où il lui est proposé un contrat en or.
Divorcé, puis installé à Brentwood (Los Angeles) et entouré de secrétaires, Welles travaille d’abord à l’adaptation du roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) et propose l’utilisation d’une caméra subjective. La RKO refuse pour cause de dépassement de budget prévisionnel, le projet, pourtant scénarisé, n’aboutit pas. À peine le Conrad refusé, Welles propose une adaptation cette fois de Cecil Day-Lewis, un polar politique intitulé The Smiler with a Knife, qui raconte l’histoire d’une femme détective qui enquête sur un mystérieux personnage vivant incognito et qui s’avère être un futur despote doublé d’un aviateur excentrique (visiblement inspiré d’Howard Hughes). Le choix de Lucille Ball pour le rôle-titre déplait aux studios, Carole Lombard ayant décliné l’offre. Côté vie privée, Welles noue une relation avec Dolores del Río; en 1940, il rompt son association avec John Houseman.
Le tournage se déroule du 30 juillet au 23 octobre 1940. Une fois le montage et la postproduction achevés durant l’hiver, Orson Welles participe à de nombreuses manifestations promotionnelles où on ne lui exprime que le parallèle entre le personnage de Charles Foster Kane et Hearst, et la réaction de ce dernier qui vient d’engager une campagne de dénigrement par l’intermédiaire de ses propres journaux. Lassé, Welles déclare : « Lorsque le bruit déclenché par Citizen Kane sera apaisé, je tournerai un grand film sur la vie de Hearst ». Les choses s’enveniment à tel point qu’au sein de l’état-major de la RKO, il est question de confisquer le négatif du film ; les dirigeants décident malgré tout de lâcher du lest non sans avoir fait passer une copie à Hearst, et Welles, s’estimant trahi, menace publiquement la société d’un procès en rupture de contrat, en son nom et en celui du Mercury Theatre : le film a coûté 800 000 dollars. Sa santé s’altère tant que son médecin l’envoie prendre du repos dans une clinique de Palm Springs. Malgré la campagne de dénigrement orchestrée par Hearst qui dure jusqu’en avril 1941, le film sort en salles, avec retard, le 1er mai et d’abord au New York Palace. La critique s’avère unanimement positive : le film apparaît comme une révolution du point de vue de la technique cinématographique et de la structure du récit. Plus tard, Welles dit que, pour la réalisation, il s’est inspiré du Roman d’un tricheur de Sacha Guitry quant à certains effets stylistiques (flashbacks, fondus, caméra subjective, voix-off, etc.), effets que l’on retrouve dans les films suivants. Toujours est-il que si le public n’est pas au rendez-vous, l’exploitation est déficitaire, Welles décroche tout de même le premier Oscar du meilleur scénario original et qu’il partage avec Herman Mankiewicz.
Le tournage se déroule du 28 octobre 1941 au 22 janvier 1942 : la destruction de Pearl Harbor survient entre-temps et le film s’achève dans un climat oppressant, surtout que Welles s’affaire déjà à d’autres projets. Pour ce deuxième film, le studio reconsidère en effet son contrat, réduisant sa marge de manœuvre en termes de montage final : n’y ayant pas accès, Welles part au Brésil pour tourner dans un premier temps un reportage sur le carnaval de Rio. Là-bas, il apprend que Schaefer est viré (Welles perd son protecteur) et qu’à la suite de deux pré-projections négatives en termes de retour, la RKO ampute le film de près de 43 minutes, lesquelles ne seront jamais retrouvées. La RKO fait également tourner une autre fin plus « moralement acceptable » par l’assistant-réalisateur Freddie Fleck et le monteur Robert Wise qui s’est déjà illustré sur Citizen Kane. Par ailleurs, mécontent que sa partition soit également mutilée, Bernard Herrmann refuse que son nom soit porté au générique qui figure comme l’un des premiers aux États-Unis à être récité à haute voix, se concluant par la marque finale devenue mythique : My Name is Orson Welles (Mon nom est Orson Welles, selon l’habitude des présentateurs radio). La première a lieu le 13 août 1942 et le film, qui n’engrange que 620 000 dollars, est sur la liste de quatre Oscars, mais sans succès.
Commencé en même temps que La Splendeur des Amberson, le tournage du Voyage au pays de la peur (1943) place Welles dans une position délicate : il est sur ce dernier à la fois acteur et producteur, mais son contrat avec la RKO, initialement prévoit qu’il le dirige. Visiblement plus intéressé par La Splendeur des Amberson, Welles froisse quelque peu les studios en quittant le plateau. Par ailleurs, et sur les instances de Nelson Rockefeller, il met en chantier un troisième projet durant cet automne 1941 : intitulé d’abord Pan American et bientôt rebaptisé It’s All True, regroupant quatre épisodes documentaires, Welles y brosse la vie des Américains sur les deux continents. Durant l’été 1941, et dans le cadre de ce travail de commande visant à rapprocher les peuples américains menacés par la guerre, Welles prend contact avec Duke Ellington et lui commande une suite musicale pour un portrait de Louis Armstrong qui ne s’accomplit jamais. En septembre, Norman Foster est dépêché à Mexico pour tourner l’épisode intitulé My Friend Bonito, l’histoire d’un taureau et d’un garçon, lequel est intégré plus tard au projet de documentaire.
Welles devient une vedette de cinéma avec Jane Eyre (1944) de Robert Stevenson, qui est par ailleurs une adaptation de la pièce radiophonique jouée par The Mercury Theatre on the Air. Welles y incarne le premier rôle et connaît un beau succès commercial.
Welles ne revient derrière la caméra qu’à la fin à l’automne 1945 avec Le Criminel (1946) : Sam Spiegel et la RKO, plus réticente que jamais, lui proposent de réaliser ce film, à condition de prendre le scénario de Anthony Veiller sans modification ; John Huston qui n’est pas crédité, aide Welles du mieux qu’il peut et les deux hommes deviennent amis. Welles expédie la mise en scène avec dix jours d’avance sur la date prévue et le film sort le 25 mai 1946, puis connaît un franc succès, mais Welles lui-même le considère « comme étant son plus mauvais. Il n’y a rien de moi là-dedans. Je l’ai fait pour prouver que je pouvais tourner un film comme tout le monde. Les deux bobines tournées en Amérique du Sud étaient ce qu’il y a de mieux dans le film. Spiegel les a supprimées ». Welles y interprète un ancien nazi et c’est aussi le premier film à montrer des images de camps de concentration. Toutefois, l’année 1946 doit lui apporter une véritable satisfaction : tourner librement avec son épouse, Rita Hayworth.
Juste après le tournage, Welles revient au théâtre et donc à New York. Certaines séquences de La Dame de Shanghai sont utilisées par Welles pour sa pièce, Around the World in 80 Days d’après Jules Verne, dont l’adaptation filmique est envisagée par Michael Todd. Avec cette dispendieuse production théâtrale que le public boude, Welles connaît pour la première fois des ennuis d’argent.
Durant l’été 1947, Herbert Yates, le président de Republic Pictures, un petit studio indépendant spécialisé dans le western et les séries B, accepte de financer son nouveau projet de film, l’adaptation du Macbeth de Shakespeare contre 200 000 dollars, le dépassement devant être payé par Mercury Theatre, autrement dit Welles. Ce pari économique n’est pas tenu : Orson Welles paye près de 100 000 dollars en extra, tout en dissimulant la pauvreté des décors au milieu d’un brouillard artificiel, mais en tournant son film en seulement vingt et un jours. Le résultat est saisissant d’étrangeté et de mystère, et restitue parfaitement « l’atmosphère tellurique de la tragédie ». Sorti le 1er octobre 1948, le film manque d’être présenté à la Mostra de Venise face à l’Hamlet de Laurence Olivier, puis disparait des écrans. Il sort en France en 1950 et André Bazin se présente comme l’un de ses plus ardents défenseurs, contribuant, avec Jean Cocteau, à faire venir « l’enfant prodigue » en Europe. En réalité, Welles sort totalement ruiné de cette expérience et le fisc américain lui réclame de fortes sommes. Dès la fin 1948, il embarque pour Cinecitta, où il travaille pour divers rôles, profitant ainsi de sa notoriété d’acteur.
Outre ses ennuis avec le fisc, Welles est désormais tombé en disgrâce auprès des producteurs américains, en particulier parce qu’il figure depuis novembre 1947 à la suite des recommandations de l’HUAAC sur la liste noire de la MPAA, laquelle refuse d’employer des artistes supposés être de tendance communiste. Paradoxalement, Welles n’a jamais caché son aversion pour les fascismes et le stalinisme, entretenant même une correspondance entre autres avec Eisenstein. Victime collatérale du maccarthysme, Welles part en Europe où il joue dans de nombreux films pour financer son nouveau projet shakespearien : Othello.
Après Rome dont on peut retenir Black Magic (Cagliostro) qui permet la rencontre avec Akim Tamiroff, puis après quelques projets parisiens avortés, Welles tourne surtout à Londres. Le film qui amorce la transformation d’Orson Welles en un véritable mythe en Europe est celui où, entre ombre et brouillard, il n’apparaît que peu (comparé à Joseph Cotten) et qui ne connaît pas non plus un énorme succès : adapté du roman éponyme de Graham Greene (également scénariste), Le Troisième Homme du Britannique Carol Reed reste pourtant un cas à part dans sa carrière d’acteur. Reed reconnaît plus tard que Welles s’est particulièrement investi dans cette aventure qui les a menés à Vienne, prodiguant même quelques conseils sur deux ou trois séquences, mais pas plus. Son personnage fait corps avec lui et Welles devient pour tous Harry Lime, « l’homme qui meurt deux fois » doublé d’un truand équivoque et fascinant.
Le public français découvre les premiers films de Welles bien entendu après la Libération. Jean-Paul Sartre fait alors l’éloge de Citizen Kane (1941) un an avant que le film ne sorte en salles en juillet 1946. Plus tard, les jeunes critiques des Cahiers du cinéma se laissent également séduire, André Bazin en tête.
Le réalisateur revient en Europe au milieu des années 1940, fuyant le fisc et le maccarthysme. En France, il y est davantage admiré qu’aux États-Unis mais ses exigences et ses prétentions durant les décennies suivantes y sont parfois déçues (ainsi, faute d’un accord financier avec le gouvernement socialiste de François Mitterrand, son projet d’adapter Le Roi Lear ne se fait pas).
À New York pendant la guerre, Orson Welles a assisté à une projection de La Femme du boulanger (1938) de Marcel Pagnol. Welles débarque à Marseille en septembre 1946, et Pagnol raconte qu’il a vu surgir dans son bureau un géant qui s’est exclamé : « Je veux voir monsieur Raimu ! » Mais Raimu vient juste de mourir, et Welles de fondre alors en larmes : « C’était le meilleur de nous tous ! », finit-il par dire, avant d’expliquer qu’il avait envisagé de faire appel à Raimu pour quelques projets de films. Entre Pagnol et Welles, c’est l’amitié, ce dernier n’hésitant pas à le critiquer, disant par exemple de La Femme du boulanger (1938) qu’il est « parmi les meilleurs films du monde, mais parmi les plus mal filmés ». Welles fait aussi la connaissance d’un collaborateur de Pagnol, le photographe de plateau Roger Corbeau, qui est engagé sur Dossier secret (1955) et Le Procès (1962). Quelques années plus tard, Welles est contacté par Sacha Guitry qui lui propose le rôle de Benjamin Franklin dans Si Versailles m’était conté (1954) et celui de Hudson Lowe pour son Napoléon (1955). Lorsque Bill Krohn s’entretient avec Welles à la fin des années 1970, celui-ci lui révèle qu’il a forgé son style « d’essayiste, en s’inspirant du travail de Guitry ».
En 1951, le producteur indépendant Harry Allan Towers demande à Welles, alors installé entre Londres et l’Italie, de réaliser Tales from the Black Museum, une série radiophonique en 51 épisodes inspirés de faits divers réels tirés des dossiers de Scotland Yard et de la Metropolitan Police Service. Towers réussit à exporter ce programme sur l’ensemble des chaînes anglophones dans le monde. Aux États-Unis, il est diffusé sur Mutual Broadcasting System durant l’année 1952. La scénarisation est signée Ira Marion et possède l’originalité de faire entendre à la fois le point-de-vue de la police et des criminels.
Welles va mettre quatre ans à tourner Othello (1952). Bien qu’inscrit au répertoire du Mercury Theatre, André Bazin situe le début de ce projet lorsque Welles s’est trouvé en Italie. Un séjour à Venise et une liaison avec Lea Padovani qui devait interpréter Desdémone, lui permettent de faire remonter le début du tournage à l’été 1948. Les cachets italiens de l’acteur (via Mercury Productions) servent à payer les premières séquences, puis les cachets de Londres sont exploités. Après une première audition décevante, il fait appel à Micheál MacLiammóir pour jouer Iago, puis à Suzanne Cloutier pour Desdémone. L’équipe du film se révèle bientôt composée de différentes nationalités, car le tournage interrompu par les problèmes d’argent doit s’adapter à de nombreux changements de lieux. Ainsi, Welles utilise de nombreux plans extérieurs (Venise, Rome, Pérouse, Viterbe, Essaouira) en réalise d’invisibles raccords, tisse son film de façon obstinée, et suivi tant bien que mal par son équipe, se retrouve sans producteur italien (Michele Scalera dépose le bilan en 1950), est sauvé par Les Films Marceau, pour un budget total d’environ 6 000 000 lires avec un montage qui comprend 2 000 plans (contre 500 pour Citizen Kane). Le film conserve cependant la marque du réalisateur, qui affirme : « Le montage est essentiel pour le metteur en scène, c’est le seul moment où il contrôle complètement la forme de son film ». Sa réussite artistique est saluée par le Grand prix (ex-æquo) à Cannes en 1952, le film étant présenté sous pavillon marocain.
Welles revient ensuite sur les planches et c’est au théâtre Édouard VII à Paris qu’il propose une adaptation de sa propre pièce The Unthinking Lobster (Miracle à Hollywood), une fable satirique contre le système de production hollywoodien pour laquelle il tourne en guise de prélude le court-métrage The Miracle of St. Anne et recrute Eartha Kitt ; l’ensemble s’intitule The Blessed and the Damned. La critique parisienne dont Le Monde, salue les prouesses techniques, mais s’inquiète du coût financier, aussi Welles remplace le tout par du Musset et du Shakespeare, Eartha clôture la soirée avec un récital de chansons puis le spectacle part en tournée. Revenu à Londres, Welles finit enfin par y monter du Shakespeare grâce à l’aide de Laurence Olivier, puis participe au lancement de la chaîne BBC2 avec une adaptation du Marchand de Venise. En 1955, la BBC lui commande une série, The Orson Welles Sketchbook, six épisodes dans lesquels il raconte des anecdotes personnelles tout en dessinant. Dans la foulée, Associated-Rediffusion, une société de production londonienne, passe commande de treize téléfilms : Around The World with Orson Welles (ITA, 1956) est un « travels essays film », tourné à Londres, en France, en Espagne et qui comprend : Le Pays basque, La Vie au Pays basque, Le Troisième Homme à Vienne, Saint-Germain-des-Prés, Les Pensionnaires de la Reine, Tauromachie en Espagne et enfin L’Affaire Dominici.
Pour la radio anglaise, il participe à une série en 52 épisodes, préquelle au Troisième homme et intitulée The Adventures of Harry Lime (BBC, 1951-52). Sur ce, il rencontre Peter Brook qui adapte avec lui King Lear (Le roi Lear) pour la télévision américaine (Omnibus Theatre, CBS, 1953).
Après des débuts remarqués à la télévision, il se lance totalement dans le projet d’un nouveau film, en partie inspiré de trois épisodes des Adventures of Harry Lime. Non seulement ce film a deux titres (voire trois), mais aussi cinq versions en salle. L’histoire du tournage est aussi complexe que celle d’Othello.
Intitulé sur le script de départ Masquerade, puis Confidential Report (Dossier secret) et produit par le français Louis Dolivet (qui va confisquer le montage), le tournage s’étale sur sept mois (1953-54), entre Ségovie, Madrid, Valladolid, Munich, Paris, la Côte d’Azur et le Château de Chillon. Arkadin, le personnage que joue Welles, prend sa source dans la vie du milliardaire Basil Zaharoff et l’homme chargé d’enquêter sur son passé s’avère Lime, mais Welles le rebaptise Van Stratten. La sortie du film prend deux ans de retard, car le montage entamé par Welles dure presque toute l’année 1954, à cause surtout de la postsynchronisation. La première a cependant lieu à Madrid en mars 1955 sous le titre Mister Arkadin, puis à Londres cinq mois plus tard et enfin Paris (juin 1956). La critique est partagée, mais Éric Rohmer compare alors Welles à Eisenstein.
Au début du tournage, Welles rencontre l’actrice italienne Paola Mori qu’il épouse en mai 1955 ils ont une fille, Beatrice Welles, née à la fin de la même année ; Welles quitte Paola en 1962 pour vivre avec Oja Kodar.
Il se voit confier la réalisation de La Soif du mal (1958), d’après un petit roman noir, par les studios Universal. Dans des entretiens ultérieurs avec Peter Bogdanovich, Welles explique comment Charlton Heston, véritable star à l’époque, a joué dans ce choix un rôle déterminant. Désirant la star pour le projet, Universal convoque Heston, qui apprend que la distribution intègre Janet Leigh dans le rôle de sa femme, et Orson Welles, dans le rôle du commissaire Quinlan. À la suite d’un malentendu, Heston comprend que « Welles va être le réalisateur du film », alors il déclare : « Si Welles est le réalisateur, je suis d’accord ». Contacté, Welles donne son accord pour un bout d’essai. Les producteurs visionnant tous les soirs les rushes, sont emballés au point de proposer à Welles de signer un contrat de quatre films pour les cinq ans à venir. Hélas pour lui, une fois le film monté, le studio change radicalement de position. Universal décide de faire remonter complètement le film par un autre réalisateur, de couper des scènes et d’en tourner de nouvelles à la hâte. Welles déclare : « L’humour que j’ai mis dans le film était inhabituel pour l’époque. Aujourd’hui, il s’est banalisé. Mais à l’époque, il a déplu aux pontes d’Universal ». C’est là son dernier film hollywoodien : on y retrouve Akim Tamiroff et Marlene Dietrich, et un plan séquence inaugural mythique. Durant ce séjour, il tourne notamment dans Les Feux de l’été (1958) d’après William Faulkner où il décroche un rôle face à Paul Newman et travaille pour Desilu Productions, qui le contacte fin 1956 pour lancer une série, The Orson Welles Show, mais le projet est avorté. La chaîne NBC programme The Fountain of Youth (La Fontaine de jouvence), seul épisode achevé et qui remporte un prestigieux Peabody Awards.
Avant de rentrer en Europe, Welles fait la connaissance à Mexico d’Oscar Dancigers, producteur entre autres de Luis Buñuel. Un nouveau projet émerge : adapter le Don Quichotte de Cervantès. Ce film n’a jamais été achevé, mais Welles, toute sa vie durant, a tenté de le terminer (cf. plus loin). En 1961, la chaîne ABC programme Orson Welles and the Art of Bullfighting qu’il réalise en Espagne : c’est vers cette époque qu’il s’installe à Madrid, mais Welles ne cesse d’aller et venir, prenant l’avion dès qu’une occasion se présente.
En 1960, le producteur Alexander Salkind propose à Welles d’adapter une œuvre moderne, mais libre de droit. Quelque temps auparavant, Michael Lindsay-Hogg, le (supposé) fils naturel de Welles, né en 1940 de Geraldine Fitzgerald, lui a soumis l’idée d’adapter pour le théâtre Le Procès de Franz Kafka. Plus tard, les droits cinéma se révèlent appartenir à un agent allemand. Toujours est-il que Salkind parvient à réunir 650 millions d’anciens francs avec un montage financier franco-italo-allemand et le tournage débute en mars 1962 à Zagreb (à défaut de Prague), en passant par la Gare d’Orsay, et se termine en juin. Welles revisite le roman, mais contourne quelque peu l’humour noir de l’auteur, innovant cependant en commandant à Alexandre Alexeïeff et Claire Parker une animation tirée de la Parabole de la Loi, incluse dans le texte originellement arrangé par Max Brod. Le film sort à Paris en décembre 1962 et décroche le Prix Méliès : The Trial est mal perçu par la critique anglo-saxonne, jugé baroque et déstabilisant, il s’achève sur un champignon atomique, Guerre froide oblige.
Dès la fin du tournage, Welles commence à vivre avec Oja Kodar, rencontrée à Zagreb. Dans la foulée, il continue d’être acteur pour les films des autres, et retenons de cette période sa rencontre avec Pasolini pour La Ricotta (1963).
Trois ans après le tournage du Procès, il réalise Chimes At Midnight (1965), qui est une refonte de plusieurs tragédies de Shakespeare qu’il a écrites sous le nom de Five Kings} en 1939 (Richard II, Henri IV, Henri V, Les Joyeuses Commères de Windsor) et en s’inspirant également des chroniques de Raphael Holinshed ; en février 1960, il reprend Five Kings au Grand Opera House de Belfast qui demeure pour Welles sa dernière performance sur les planches, mais qui sert en réalité de « pré-répétition » pour un film dont il a déjà l’idée en tête. Le tournage se déroule entre septembre 1964 et avril 1965 en Espagne et la production assurée par Emiliano Piedra avec l’aide ultérieure d’Harry Saltzman, que Welles avait rencontré à Madrid pour un projet, l’adaptation de L’Île au trésor.
Le thème central du film se fonde sur l’amitié trahie et la jeunesse perdue ; Orson Welles y incarne Sir John Falstaff. Sa passion dévorante pour le dramaturge anglais irradie ce film à la fois mélancolique et bouffon. Il considère qu’il s’agit de sa plus grande réussite : « Mon meilleur film est Falstaff, ensuite Les Amberson. Falstaff est le complément, quarante ans plus tard, de ce Citizen Kane que j’ai tourné à l’aube de ma vie ». Le film est une coproduction hispano-suisse avec un tournage en anglais dans les environs de Barcelone entre l’hiver 1964 et le printemps 1965. Jeanne Moreau, déjà présente dans Le Procès y tient le rôle de Dolly, entourée d’une kyrielle d’acteurs issus du théâtre anglais dont John Gielgud. Présenté à Cannes en mai 1966, le film décroche deux récompenses : le Prix du XXème Anniversaire du Festival du Film et le Prix de la Commission supérieure technique. Le réalisateur est déçu, s’attendant à remporter la Palme d’or.
Durant l’automne 1966, Welles tourne pour la télévision française (ORTF), Une histoire immortelle (1968), tiré d’une nouvelle de Isak Dinesen intitulée L’éternelle histoire et pour la première fois en couleurs. Conçu à la façon d’une « miniature », ce film comprend Jeanne Moreau, Roger Coggio et Orson Welles dans le rôle de Mr Clay. Il ne sera diffusé que sur la deuxième chaîne le 24 mai 1968, passant relativement inaperçu eu égard aux événements en cours, mis à part une scène d’un érotisme assez poussé pour l’époque et que Jean Renoir salua.
Quelques mois plus tard, Welles s’embarque pour le tournage de The Deep (1967-1969) – d’après Dead Calm (1963) de Charles Williams – sur un bateau, au large des côtes yougoslaves, avec, entre autres, Oja Kodar et Jeanne Moreau. Le film reste inachevé (cf. plus loin). Welles est alors à un nouveau tournant de sa carrière : il va faire face à une succession de projets avortés, dont le plus connu reste The Other Side of the Wind commencé en août 1970 avec ses amis John Huston et Peter Bogdanovich, et dont le tournage (chaotique) s’étend jusqu’en 1976. En 1969, CBS programme Around the World with Orson Welles puis, en 1971, Orson Welles Bag, comprenant des extraits de The Merchant of Venice. Mais le fisc américain confisque les financements reçus par Welles et le téléfilm reste inachevé. Cette année-là, Welles reçoit l’Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. C’est sans doute au cours de 1970 qu’il décide de quitter l’Espagne, et de rentrer aux États-Unis. Il s’installe à Los Angeles avec Oja Kodar, tout en étant toujours officiellement marié avec Paola Mori.
En quinze ans, Welles ne réussit à sortir que deux documentaires. Tout en continuant à jouer dans des films, à se montrer dans des émissions télévisées, à participer même à des publicités, il occupe l’essentiel de son temps à tenter de monter de nouveaux projets. Sa liaison avec Kodar est désormais publique. Elle participe avec lui à la plupart des films de fiction (des adaptations) que Welles, faute d’argent et de temps, ne parvient pas à terminer.
Réalisé avec la complicité de François Reichenbach, Vérités et Mensonges (1973) est un essai documentaire, une réflexion sur le cinéma comme art de l’illusion, ainsi que sur les différentes techniques mises en œuvre pour y parvenir.
Revenant sur le tournage d’Othello à partir de documents datant des années 1950-52, Filming Othello (1978), est réalisé pour la télévision allemande (Hellwig Productions), mais bénéficie d’une distribution en salles américaines en juin 1979, fait rare et dû à la personnalité et au prestige de son auteur. En 1982, Welles devient le président de la cérémonie des César. La même année le 23 février, le président François Mitterrand le nomme Commandeur de la Légion d’honneur, la plus haute distinction civile en France. Il meurt à 70 ans, le 10 octobre 1985 à Los Angeles des suites d’un arrêt cardiaque quelques heures après avoir participé à l’émission télévisée le Merv Griffin Show.
Il avait obtenu son étoile sur le Walk of Fame le 8 février 1960.
Conformément à ses dernières volontés, ses cendres sont dispersées en Espagne, dans la finca Recreo de San Cayetano près de Ronda en Andalousie, qui appartenait à son ami, le torero Antonio Ordóñez.
Inachevé, le tournage de It’s All True commence fin 1941 et est annulé en août 1942. Welles n’a à l’origine nullement l’intention de réaliser seul ce documentaire, mais au cours des années qui suivent, il cherche à remettre la main sur les rushes, afin de pouvoir les monter en quelque chose d’exploitable. Certains de ces rushes sont retrouvés en 1985. Les droits du film appartiennent désormais à Paramount, mais ne sont libres que passés 50 ans. En 1993, sort dans les salles un documentaire intitulé It’s All True: Based on an Unfinished Film by Orson Welles, écrit et réalisé par Richard Wilson (l’un des collaborateurs de Welles en 1942), Bill Krohn et Myron Meisel avec la participation de Catherine Benamou, fruit d’un long travail d’enquêtes sur les lieux de tournage (1986-1991) et montrant une bonne partie des rushes disponibles.
Welles commence à tourner les premières images de Don Quichotte en septembre-octobre 1957 au Mexique, avec un premier producteur, Oscar Dancigers. Le film ne voit jamais le jour. Il va tourner pendant sept ans, interrompant volontairement le film, le plus souvent pour des raisons budgétaires. En 1969, l’acteur Francisco Reiguera, qui interprétait le rôle de Don Quichotte, meurt. Welles tente de monter le film dans les années 1970. Une seconde tentative de montage réalisée à partir des rushes et suivant les notes laissées par Welles est produite en 1992 : les réactions des critiques sont mitigées.
Inachevé, le tournage de Dead Reckoning (titre prévu) est interrompu en 1969. L’un des chefs opérateurs s’avère Willy Kurant, le même que sur Une Histoire immortelle. L’un des acteurs, Laurence Harvey, étant mort en 1973, Welles n’a jamais pu compléter les scènes manquantes. Une partie du film est également tourné aux Bahamas. Toutes les scènes devaient être en couleurs, mais faute de moyens, certaines sont en noir et blanc. Les négatifs sont réputés perdus, mais le Munich Stadtmuseum possède une copie de travail qui a été projetée au Festival de Berlin en 2000. En 1989, Philip Noyce tourne une adaptation du roman (inachevé) de Williams, qui sort en français sous le titre Calme blanc.
C’est à l’origine un téléfilm couleur commencé en 1969 pour la chaîne CBS, mais réputé inachevé, et tiré de la tragédie de Shakespeare, Le Marchand de Venise. Welles y interprète Shylock et l’on peut découvrir dans le documentaire The Lost Films of Orson Welles ses saisissants monologues tournés face caméra, dans le désert d’Arizona. Une partie des négatifs aurait été perdue à Rome, mais Bogdanovich laisse entendre que CBS aurait tout simplement suspendu le tournage à cause des ennuis de Welles avec le fisc américain.
Les dangers liés aux progrès de la science, cristallisés dans l’accident de George Amberson, dans son deuxième film, sont toujours d’actualité. Mais l’homme est avant tout un féru de littérature, de musique, de peinture et de théâtre. En 1958, venu présenter La Soif du mal en France, Orson Welles rencontre André Bazin, journaliste et fondateur des Cahiers du cinéma, à qui il accorde un long entretien qui est repris dans le livre que le critique consacre à Welles. Il parle des cinéastes qu’il admire : Marcel Pagnol, John Ford dont il a vu La Chevauchée fantastique (1939) une quarantaine de fois avant de réaliser son premier film, Vittorio De Sica, Kenji Mizoguchi, Sergueï Eisenstein, Charlie Chaplin, René Clair et David Wark Griffith. Mais il n’est pas tendre avec certains de ses pairs. Toujours dans l’entretien avec Bazin, il descend Roberto Rossellini, Nicholas Ray et Vincente Minnelli. Seul Stanley Kubrick trouve grâce à ses yeux. Du reste, il est possible de considérer Kubrick comme le meilleur disciple de Welles tant les deux artistes ont de points communs.
Sa carrière n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a été obligé de batailler ferme pour mener à bien tous ses projets, qu’il s’agisse de théâtre ou de cinéma. Après 1946 et l’échec commercial cuisant du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne, au théâtre, il a eu des ennuis avec le fisc. Mais il a également connu des moments heureux. Il a pu monter quelques pièces de Shakespeare en Angleterre. Visionnaire et audacieux, il a monté, à New-York, Macbeth et transposé l’histoire de l’Écosse brumeuse à l’île d’Haïti sous le règne du roi Christophe, en faisant jouer des acteurs noirs. Sa passion pour le grand dramaturge anglais ne s’arrête pas au théâtre et au cinéma : il réalise plusieurs adaptations radiophoniques qu’il sort par la suite en disque. Il collabore avec entre autres plusieurs musiciens : en tant que narrateur, sur l’album musical d’Alan Parsons Project intitulé Tales of Mystery and Imagination sur le titre A Dream Within a Dream ; avec le groupe de heavy métal Manowar en prêtant sa voix pour des narrations sur les titres Dark Avenger et Defender.
Au cinéma, l’influence de Shakespeare se manifeste dès Citizen Kane (1941): un roi de la presse, qui cherche à étendre son empire, doit essuyer plusieurs échecs sentimentaux, relationnels et professionnels qui le conduisent à la solitude et à la mort. Nous retrouvons dans ce premier film de nombreuses thématiques shakespeariennes : un roi solitaire, tentant en vain de concilier ambition, pouvoir et vie de famille, et devant faire face à la trahison ; celle de ses amis, mais aussi la sienne propre, car Charles Kane trahit sa profession de foi. Ce thème de la trahison, et de l’échec qui s’ensuit, va se retrouver tout au long de son œuvre, mais également de sa vie professionnelle. Il suffit de penser à It’s All True (1942) et Don Quichotte : trahi par ses échecs commerciaux, le cinéaste a de nombreuses difficultés pour mener à bien ses projets.
Les adaptations qu’Orson Welles réalise sont chacune différentes, mais également fascinantes. Macbeth (1948) est composé majoritairement de plans-séquences très longs. Le seul couronnement du roi dure près de dix minutes. Le cinéaste plonge le film dans des brumes, rappelant celles d’Écosse, afin de cacher la pauvreté des décors. À l’inverse, Othello (1952) est composé d’environ deux mille plans. Véritable prouesse technique de Welles qui interrompt son film pour le reprendre quelques mois plus tard, une fois les finances arrivées. C’est également le film où le thème de la trahison est sublimé : Othello est trompé par Iago qu’il croit être son ami, alors qu’en fait ce dernier ne sert que ses ambitions. Sa dernière adaptation est également grandiose puisqu’il s’agit de Falstaff, où il refond plusieurs pièces du dramaturge et fait de John Falstaff, personnage secondaire, presque un faire-valoir chez Shakespeare, un personnage de premier plan. La séquence de bataille est admirable, et le pachyderme Welles, très loin du jeune premier de Citizen Kane, incarne Falstaff, personnage bouffon mais sincère, renié par son ami devenu roi.
Welles découvre l’Espagne à 17 ans. Au cours de l’année 1935, il sillonne de nouveau l’Espagne sous l’apodo de El Americano. Mais après deux blessures, l’une au cou, l’autre à la cuisse, il renonce à son ambition de devenir torero. Il déclare plus tard, lors d’un entretien avec un journaliste de Arriba le 10 février 1951, qu’il avait cherché à devenir torero mais « ne pus atteindre ce que je me proposais… C’est (la tauromachie) un véritable art de Titan ». Il a cultivé toute sa vie une passion pour la tauromachie au point de faire répandre ses cendres le dans la finca (Recreo de San Cayetano), de son ami Antonio Ordóñez et de planter en Espagne parfois le décor de plusieurs de ses films. Cependant il n’a jamais réussi, au cours de sa carrière, à trouver le financement pour son film Monstres sacrés dont le sujet est celui d’un cinéaste (lui-même) qui suit des toreros de ville en ville. De son Afición, seuls subsistent My Friend Bonito ainsi que quelques émissions de télévision, parmi lesquelles Corrida à Madrid (1955), The Orson Welles Sketchbook (Around the World with Orson Welles, ABC, 1955) et Orson Welles on the Art of Bullfighting (ABC, 1961).
Au cours de sa carrière, il tente de « contaminer » un certain nombre de célébrités de Hollywood, occupant dans les arènes les places du premier rang en compagnie d’acteurs et d’actrices. Certains le suivent parce que c’est en quelque sorte à la mode : Frank Sinatra, Debra Paget, Lee Marvin, Glenn Ford. D’autres sont devenus de réels aficionados : Rita Hayworth, Ava Gardner, Stefanie Powers (qui a été elle-même une Aficionada practica), Joseph Cotten, Anthony Quinn.